Pour la première fois depuis des semaines, Zakariya Banouni commence sa journée comme le reste du monde: le matin.
Il a trouvé un job d’été à la déchetterie de Saint-Jory, une petite commune au nord de Toulouse où vivent ses parents. Comme il ne s’y est pas présenté la veille, ses parents ont passé la nuit à arpenter le centre-ville à sa recherche, l’ont finalement extirpé d’un appartement rue Perchepinte, l’ont ramené à la maison et se sont allongés avec lui jusqu’à ce qu’il puisse trouver le sommeil.
Zakariya essaie de joindre son meilleur ami, Taha, mais celui-ci ne répond plus au téléphone. Devant le miroir de la salle de bains, il se rase le crâne. Il met ensuite ses lunettes, enfile un t-shirt et un pantalon, descend les escaliers. Son père l’attend pour l’emmener au travail. Ce mercredi 5 août 2015 est son dernier jour de liberté.
Après sa journée à la déchetterie, son père vient le chercher. À peine ont-ils franchi le portail de la maison familiale que des voitures de police surgissent. Les forces de l’ordre viennent arrêter Zakariya Banouni pour assassinat. La nuit tombe.
Quand la juge d’instruction lui demandera: «Comment avez-vous réagi en apprenant la découverte du corps d’Eva Bourseau?», Zakariya répondra: «C’était un soulagement qu’enfin, il se passe quelque chose de concret.»
«Je savais qu’il était instable»
Un peu plus tôt dans la journée, mercredi 5 août 2015, un homme s’est présenté au commissariat central, boulevard de l’Embouchure. Le corps d’Eva Bourseau avait été retrouvé deux jours auparavant, dans une malle d’acide, au 38, rue Merly. Toute la presse locale et nationale s’était mobilisée. L’homme a dit avoir des informations à livrer concernant la mort d’Eva. Il s’appelle Taha Mrani Alaoui, il a 21 ans et est de nationalité marocaine.
«Ce jour-là, il est arrivé chez moi à l’heure pile, pas en retard. J’ai su qu’il y avait un problème», raconte Flora* à la barre, trois ans et demi plus tard.
À l’époque, en août 2015, Flora est la petite amie de Taha Mrani Alaoui. Aux enquêteurs, elle affirme que Taha et elle ne sont pas en couple, qu’ils sont simplement des amis qui couchent ensemble. Mais de fait, ils sont suffisamment attachés l’un à l’autre, et exclusifs, pour être plus que ça.
Flora et Taha se sont rencontrés dans un festival. La première fois que Taha a voulu l’embrasser, elle a refusé: «La façon dont il a essayé, ça m’avait… On n’avait jamais essayé comme ça avec moi, c’était une énergie un peu haineuse. Ça ne m’a pas plu.» Peu à peu, pourtant, elle avait commencé à l’apprécier: «C’était quelqu’un de calme, très à l’écoute. Mais c’était quelqu’un de très seul. Il se sentait très très seul.»
Devant la cour d’assises de la Haute-Garonne, Flora explique: «Au début, il était normal. Puis il est devenu plus introverti. En soirée, il ne parlait plus, il restait dans son coin avec les yeux dans le vide. Je trouvais ce comportement étrange. Il avait plein de comportements étranges, mais je n’arrivais pas à lire dans ses yeux noirs. Il me disait qu’il se trouvait bizarre, schizophrène. Il se parlait dans la glace.» Elle ajoute: «Je savais qu’il était instable. C’est pour ça que je ne disais pas que je sortais avec lui.»
Le 28 juillet 2015, Taha s’est rendu chez Flora avec son meilleur ami Zakariya: «Il est passé vers 2 heures du matin, alors qu’il devait venir vers 22 heures. Ils avaient l’air normal. Zak m’a parlé de la série Breaking Bad. Il rigolait, disait que c’était une bonne série, et Taha aussi.»
Au lendemain de la découverte du corps d’Eva, Taha insiste pour revoir Flora. Il doit lui dire quelque chose. Cette fois, il arrive pile à l’heure.
«Il me dit qu’il est amoureux de moi. Et puis il me dit: “Flora, Zak et Guillaume ont tué Eva.”»
Flora ne la connaît pas, mais elle en a beaucoup entendu parler. «Taha n’arrêtait pas de me parler d’Eva, admet Flora à la barre. Je pensais même qu’il était amoureux d’elle.»
Taha Mrani Alaoui et Zakariya Banouni se sont rencontrés en mai 2014, à une soirée entre étudiants marocains du très prestigieux lycée Pierre de Fermat. Taha est arrivé du Maroc quelques mois plus tôt, pour étudier à l’ENSEEIHT, une école d’ingénieur réputée de Toulouse. Zakariya est français, né de parents marocains venus s’installer en France au début des années 1980.
En septembre de la même année, Taha croise par hasard Zakariya à la bibliothèque de l’Université Paul Sabatier. Ils sont désormais tous les deux étudiants en mathématiques. Taha est le plus âgé –trois ans de plus que Zakariya. Il lui demande: «Tu fumes?», Zakariya acquiesce. Les deux jeunes hommes se roulent un joint derrière l’escalier de la bibliothèque. Ils se revoient tout le mois d’octobre au même endroit, et Taha invite Zakariya à son anniversaire, le 31.
Taha n’a pas vraiment d’amis, Zak vient avec les siens, des copains de Fermat. Là, ils apprennent à se connaître. Ils ne se quittent plus. Zakariya vient d’abord dormir chez Taha à l’occasion, pour réviser ou préparer des examens, mais il habite toujours chez ses parents. Il finit par s’installer pour de bon chez Taha, et rentre moins dans sa famille à Saint-Jory.
Taha appelle Zak «mon petit frère»; Zak appelle Taha «mon grand frère». Taha paye le loyer, les courses et les drogues. Initie Zakariya aux champignons hallucinogènes, au LSD, au speed et à la MDMA. Achète les produits à Guillaume, dit «le Chinois», rencontré une nuit sur le parking de l’Inox.
Au début de l’année 2015, Zakariya rencontre Eva à la prairie des Filtres. Il la présente à Taha, lorsque celui-ci le rejoint à la soirée. Taha et Eva deviennent amis. Tous deux se fournissent auprès du «Chinois».
Devant la cour, Flora dira: «Zak et Guillaume ont tué Eva. Taha me dit qu’il a aidé à trouver une solution. Il me dit: “J’ai peur que Guillaume te tue, maintenant que tu sais.”»
Dès que Taha part aux toilettes, Flora cache tous les couteaux de la cuisine. Elle attrape le pull rouge qu’il lui a rendu, celui qui appartenait à son père décédé et qu’elle avait prêté à Zakariya, un soir où il avait froid. Elle le jette dans le tambour et met la machine à laver en route. «Je l’ai arrêtée parce que le bruit… Le bruit m’était insupportable.»
Elle laisse Taha dormir sur le canapé. Mais elle n’arrive pas à dormir. Ils ont pris du speed. Elle n’arrête pas de penser: «Il faut que tu fasses quelque chose.» Quand Taha se réveille, elle lui dit qu’ils vont aller ensemble au commissariat, pour expliquer. Elle ne veut pas entendre les détails, elle lui tend un papier. Il n’a qu’à l’écrire.
Taha écrit au feutre bleu: «J’ai vu ses yeux d’un bleu magnifique fumer, se décomposer. Ils sortaient de son crâne. Son ventre, j’—-» Écœurée, Flora lui arrache le papier des mains et le jette à la poubelle.
«La seule personne disponible pour m’écouter, c’était Flora», dira Taha.
«Maintenant, j’ai peur de la nuit»
Quelques jours plus tôt, il avait essayé de parler à une autre amie. «Il avait consommé de la drogue mais était parfaitement conscient, a précisé celle-ci aux enquêteurs. Je crois qu’il voulait me parler.»
Assis sur son canapé, Taha lui a confié: «Tu vis dans un monde réel et je suis poursuivi par des fantômes. J’ai vu des choses horribles dans mon monde paradisiaque. Tu veux vraiment savoir ce que j’ai vu? Si je te disais ce dont j’ai été témoin, tu aurais du mal à t’en remettre.» Son amie n’avait pas voulu savoir, alors il avait insisté auprès de Flora pour qu’elle rentre de chez sa mère.
Il lui avait expliqué durant la nuit. «Maintenant, j’ai peur de la nuit. Il m’a annoncé ça la nuit, et ça m’a traumatisée», lâchera-t-elle à la barre.
Au petit matin, Flora insiste: s’il a «des couilles et est un homme», il va la suivre au commissariat central. «Taha était en sueur, raconte Flora. Il faisait très chaud ce jour-là, et en plus, j’habitais sous les combles. Je l’ai laissé se doucher et je me souviens de sa puanteur quand il est sorti de la douche. Il a mis un bonnet, il faisait 30°C. Je lui ai demandé: “Pourquoi tu mets un bonnet? Assume!”»
Le président de la cour d’assises rappelle que devant les enquêteurs, Flora a confié avoir fait l’amour avec Taha avant de partir au commissariat, «parce que c’était peut-être la dernière fois qu’il faisait l’amour avant longtemps». Elle ne se souvient pas, fond en larmes: «Je ne sais pas si vous êtes obligé de raconter ça devant tout le monde, parce que je… Honte à moi. Honte à moi!» Le président est gêné. Il voulait montrer autre chose: à ce moment-là, Flora croyait Taha.
Quand Taha et Flora arrivent à l’accueil du commissariat central, le jeune homme s’avance: il a des choses à dire concernant le meurtre d’Eva. On leur répond que c’est la pause déjeuner, qu’il faut repasser à quatorze heures. Alors Taha et Flora partent au kebab à côté, fument des cigarettes, font les cent pas, avant de revenir à l’heure indiquée. Ils sont immédiatement placés en garde à vue.
Taha récite: «Zak est venu en me disant: “Mec, j’ai vraiment fait de la merde, j’ai tué Eva.”» Lui a eu l’idée de l’acide, de la malle, du nettoyage. Il n’était pas là. Il ne sait pas ce qui s’est passé, juste qu’il y a eu une bagarre, que Zak a frappé Eva avec un poing américain. Eva avait 6.000 euros de dettes envers Guillaume. Peut-être a-t-il commandité le meurtre?
«Je vais essayer de vous parler»
Après son interpellation au domicile de ses parents, Zakariya est placé dans les geôles du commissariat. Ce soir-là, Maître Jonathan Bomstain est de permanence. «J’étais chez moi, comme n’importe quel avocat qui attend son coup de fil. Il faut savoir que quand on est de permanence, les informations sont très lapidaires: on sait pourquoi la personne a été interpellée et est placée en garde à vue, son nom et sa date de naissance. Ça s’arrête là.»
Quand l’avocat arrive, il sait que c’est pour un assassinat. «Il est tard, en fin de journée, ça commence à tirer…» Il décline son identité. Un gardien de la paix vient le chercher et l’emmène aux sous-sols. Ils passent plusieurs portes à carte et arrivent enfin aux geôles, surplombées d’un mirador central. Ça sent l’urine, l’alcool et la merde.
«Il me raconte tellement de choses, de façon spontanée… On sent que ça sort des tripes.»
Me Jonathan Bomstain se tient devant la paroi vitrée de l’une des cellules. En entrant, il voit un garçon, la main sur le visage. Il est très grand, 1m95, et pèse 70 kilos.
Zakariya Banouni lève lentement ses yeux injectés de sang vers lui. Ses lunettes ont été confisquées, tout comme ses lacets et sa ceinture –une mesure de sécurité d’usage, pour éviter les suicides. Il lâche: «Oui, c’est moi.»
L’avocat ne comprend pas. C’est moi, quoi? Là, Zakariya sort tout. Le meurtre d’Eva, la malle et l’acide. «Il me raconte tellement de choses, de façon spontanée… On sent que ça sort des tripes. C’est comme si on avait mis toutes les nuances du désespoir humain dans un pot. Et en même temps, du soulagement.»
Ensemble, ils ont trente minutes pour réfléchir à ce qu’ils vont faire. À 22 heures 30, Zakariya est entendu une première fois. Il ne souhaite répondre à aucune question. Il a très mal à la tête. Vers la fin de sa garde à vue, il exprime: «Puis-je avoir mes lunettes?» L’enquêteur lui demande s’il parlera plus tard, il répond: «J’ai envie de dormir.»
Cela fait une semaine qu’il n’arrive plus à s’endormir. Les enquêteurs le sentent, quelque chose ne va pas. Ils imposent la présence d’un médecin. Celui-ci écrira, dans son rapport, à la section «Commentaires additionnels»: «Avis psychiatrique souhaitable.»
Après une nuit de repos, Zakariya annonce à l’enquêteur: «Je vais essayer de vous parler.» Et sa version est très différente de celle de Taha.
«Où est l’argent?»
Dans la nuit du 26 au 27 juillet 2015, Taha et lui seraient allés chez Eva Bourseau pour la cambrioler, voler la drogue achetée à Guillaume et l’argent de son petit trafic –Taha a une dette auprès du «Chinois», lui aussi lui achète des stupéfiants en gros pour les revendre.
Mais Eva était chez elle quand Zakariya et Taha sont arrivés. Ils s’en sont allés, puis sont revenus, espérant qu’elle soit partie en soirée. Mais elle était toujours là. Taha a alors caché son pied de biche dans son pantalon, et ils sont montés. Ils ont passé la nuit tous les trois, Taha, Zakariya et Eva, à consommer de la drogue et regarder des documentaires d’Arte sur le petit ordinateur d’Eva.
Eva était fatiguée, alors ils ont quitté le studio, ont marché quelques mètres dans la rue Merly et ont fait demi-tour. Il fallait y retourner. Zakariya avait un poing américain dans sa poche, Taha le lui avait donné. Ils ont sonné, Taha a prétexté avoir oublié ses clés. Eva a ouvert; ils sont remontés.
Zakariya a frappé le premier. Eva criait. Il a frappé encore, jusqu’à ce qu’elle s’effondre. Au sol, le nez en sang, Eva était maintenue à terre par Zakariya. Taha s’est agenouillé à côté d’elle et a demandé où était l’argent. Eva a répondu «derrière le fauteuil». Il n’a pas trouvé, alors il est revenu et l’a frappé au crâne avec son pied de biche. Zakariya a été tellement surpris qu’il a bondi à l’autre bout de la pièce. Taha a répété: «Où est l’argent?» Il a fini par le trouver, derrière le canapé. À ce moment-là, Zakariya remarque qu’Eva ne respire plus. Taha s’approche et écoute son cœur. Eva est morte.
Ils étaient tellement défoncés.
Ils rentrent chez eux, rue Perchepinte. L’avaient-ils rêvé? Est-ce que ça avait vraiment existé, ou vivaient-ils un bad trip? Ils retournent une fois encore au 38, rue Merly. Eva ne répond pas à l’interphone. Ils voient Eva dans une mare de sang. Taha promet: «Mec, je nous ai mis dans la merde, et je vais nous en sortir.»
Taha s’est souvenu de cette scène, dans la première saison de Breaking Bad: des dealers qui dissolvent un corps dans l’acide. Zakariya et lui achètent trois bidons de cinq litres d’acide chlorhydrique au supermarché Casino de la place Saint-Georges et une malle rouge au couvercle gris chez Midica, place Esquirol. Ils plient le corps, c’est long, jusqu’à le faire entrer dans la malle. Mais il n’y a pas assez d’acide. Ils se procurent douze litres supplémentaires. L’odeur est forte.
Ils reviennent tous les jours, durant une semaine, pour contrôler l’état de décomposition. Ils déplacent la malle dans la chambre d’Eva, calfeutrent la porte, mais l’odeur se répand partout. Et puis un soir, huit jours après le meurtre, alors qu’ils se dirigent chez Eva, ils voient les pompiers, la police. Ils découvrent les articles de presse.
À partir de là, la machine judiciaire se met en route. Zakariya, Taha et Guillaume sont placés en détention provisoire.
«Il sait qu’on va retrouver son ADN »
Durant leurs premières gardes à vue, les propos de Zakariya et Taha sont décousus: les dates, les heures sont floues, ils demandent régulièrement à voir des calendriers; ils font répéter des questions simples, chancellent ou sourient étrangement et disent qu’ils sont fatigués.
Jonathan Bomstain comprend la lourdeur, le poids et la complexité du dossier. Il contacte Me Alexandre Martin, une pointure du barreau reconnu pour ses talents en instruction.
Christophe Bourseau contacte lui aussi un ténor, un avocat d’un grand cabinet lillois. Son assistante répond qu’avec la seule aide juridictionnelle, ça va être compliqué.
La presse s’emballe, excitée par le profil des meurtriers: des gamins de Fermat, des étudiants d’élite promis à un brillant avenir qui ont sombré dans «l’enfer de la drogue».
Au lycée, Zakariya avait remporté un prix aux olympiades scientifiques avec deux amis, pour l’invention d’une main articulée traduisant la langue des signes. La presse locale en avait fait un papier. Il y avait même une photo de lui, souriant à côté de son professeur et de ses copains. Taha avait raté le concours de Polytechnique, mais avait réussi celui de l’ENSEEIHT. Et tous deux étaient devenus polytoxicomanes au point de tuer pour une dette de drogue.
Les médias titrent: «Meurtre à la Breaking Bad», «La drogue a fabriqué des tueurs», «Drogues et acide chlorhydrique: qui étaient ces étudiants-meurtriers?».
«Guillaume le Chinois, ça ne tient pas la route. Taha, on sent qu’il essaie de réagir aux éléments. Il a vu la presse.»
Le grand cabinet lillois rappelle Christophe Bourseau: ils sont d’accord pour prendre son dossier en partie civile.
Dans l’attente de l’instruction, le père d’Eva écrit au président de la République, lui parle de l’absence d’accompagnement des familles des victimes, adresse ses questions aux plus hautes instances: comment des jeunes sont capables de trouver, acheter et revendre de tels produits? Pourquoi personne ne fait rien? La garde des Sceaux et le cabinet du ministère de l’Intérieur lui répondent, assurent qu’ils vont faire leur nécessaire auprès de leur hiérarchie. Christophe Bourseau craint que ce ne soit que des mots.
En détention provisoire, Guillaume crie son innocence. Il n’a jamais commandité le meurtre d’Eva. Il achetait des stups sur le darknet, les revendait à Taha et Eva pour alimenter leurs propres trafics, se faisait une marge. Il consommait de la MDMA, du cannabis. Mais Eva n’avait pas de dette: elle avait toujours payé comptant, il n’avait jamais eu à se plaindre. Taha, en revanche, le payait toujours en retard, lui posait des lapins. Taha gérait tout mal.
«Guillaume le Chinois, ça ne tient pas la route, reconnaît le capitaine Sans.Taha, on sent
qu’il essaie de réagir aux éléments. Il a vu la presse. Il sait qu’on va retrouver son ADN et des traces papillaires.» Sur les caméras de vidéosurveillance, seules apparaissent les silhouettes de Zakariya et Taha. Guillaume est remis en liberté, après six mois de détention provisoire. Et Taha finit par passer à table: il était bien chez Eva, cette nuit-là.
«Vous venez pas, hein, Monsieur Bourseau»
Comme le veut la procédure, une reconstitution est organisée.
Un an après les faits, à l’automne 2016, les accusés reviennent pour la première fois sur les lieux. Une photographe de la presse locale est cachée dans un immeuble en face. Elle arrive à prendre plusieurs photos de Taha Mrani Alaoui et Zakariya Banouni. Taha a le crâne rasé, les mains dans les poches de son jean. Zakariya a les épaules courbées, semble se déplacer lentement.
À l’intérieur de l’appartement d’Eva, tout a été figé. Me Jonathan Bomstain se souvient d’entrer dans cette capsule d’un autre temps, endroit exigu et étouffant, où tout le monde se retrouve confiné dans la chambre d’Eva à suivre la reconstitution sur des écrans. Le studio est trop étroit pour que les avocats, les policiers et le médecin légiste observent la scène depuis le salon. Zakariya rejoue la nuit des faits; Taha rejoue la nuit des faits.
À la sortie, les journaux écrivent: «Taha avoue avoir donné le coup de pied de biche mortel.» L’information est partielle. Le docteur Anthony Blanc note dans son rapport que la version de Taha est compatible avec la lésion traumatique dans la région temporale gauche, mais que ce traumatisme crânien n’est pas une cause exclusive du décès: «Intellectuellement, je ne peux pas me dire que ce coup temporal est la seule cause. À l’autopsie, il y a peu de dégât cérébral.» Il pense à une asphyxie.
Et puis il y a autre chose. La version de Taha, sa description des faits, correspond aux constatations médico-légales. Taha dit que Zakariya était à califourchon sur Eva, qui était sur le dos; le coup de pied de biche marque une trajectoire d’avant vers l’arrière.
Dans la version de Zakariya, Eva est sur le ventre –il lui maintient les bras dans le dos–, ce qui n’est pas compatible avec les éléments de l’autopsie: le coup aurait marqué une trajectoire de l’arrière vers l’avant.
Le ténor du grand cabinet lillois n’est pas venu. C’est sa collaboratrice, MeTiffany Dhuiege, qui s’est déplacée. Dehors, elle appelle Christophe Bourseau, lui souffle gentiment: «Vous venez pas, hein, Monsieur Bourseau.»
Dans son interrogatoire du 12 octobre 2015, Me Alexandre Martin informe Zakariya:
– Je vais voir vos parents demain, avez-vous des choses à leur dire par mon intermédiaire?
– Si vous pouvez leur faire part que tout ce qui m’arrive aujourd’hui, ce sont mes erreurs personnelles, mais pas les leurs.
* Le prénom a été changé.