Depuis plus d’un mois, le Cabinet BOMSTAIN a engagé plus de 80 requêtes devant le Tribunal administratif de Toulouse, dont 42 procédures en référé suspension, à l’encontre des refus d’autorisation d’instruction en famille opposés par le Rectorat de Toulouse.
A ce jour, nous avons pu plaider plus d’une vingtaine de dossiers et porter la parole, ainsi que les projets des familles ayant fait le choix de l’instruction en famille.
Audience après audience, nous avons constaté l’existence d’un débat interne à la juridiction administrative dans son ensemble, voire au sein d’une même juridiction, sur la lecture du nouveau dispositif normatif de la loi du 21 août 2021 et surtout les lectures du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat.
Deux approches semblent ainsi prédominer, le choix de retenir l’une ou l’autre permettant un accès plus ou moins restrictif à une suspension des refus opposés aux familles par le juge des référés, sur la base d’un doute sérieux fondé sur l’erreur de droit ou l’erreur manifeste d’appréciation.
Ainsi, certains magistrats administratifs considèrent que « Il résulte du 4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation dans sa version applicable à compter du 1er septembre 2022, tel qu’interprété par le Conseil constitutionnel au point 76 de sa décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021, que « D’une part, en subordonnant l’autorisation à la vérification de la « capacité … d’instruire » de la personne en charge de l’enfant, les dispositions contestées ont entendu imposer à l’autorité administrative de s’assurer que cette personne est en mesure de permettre à l’enfant d’acquérir le socle commun de connaissances, de compétences et de culture défini à l’article L. 122-1-1 du code de l’éducation au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle d’enseignement de la scolarité obligatoire. D’autre part, en prévoyant que l’autorisation est accordée en raison de « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif », le législateur a entendu que l’autorité administrative s’assure que le projet d’instruction en famille comporte les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant. » Le Conseil constitutionnel a précisé, au même point, qu’il « appartiendra, sous le contrôle du juge, (…) aux autorités administratives compétentes de fonder leur décision sur ces seuls critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit. […]
Il n’est pas contesté que le projet pédagogique, également très détaillé, comporte les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant. En outre, il est constant que les parents en charge de l’éducation des enfants disposent d’une capacité d’instruire conditionnant l’octroi d’une autorisation d’instruction dans la famille. Les deux « seuls critères » sur lesquels les autorités administratives compétentes doivent fonder leur décision apparaissent donc satisfaits. Au surplus, la loi n’a pas conditionné l’existence d’une situation propre à l’enfant à la démonstration de l’impossibilité de la prise en charge de l’enfant par l’institution scolaire.
Par suite et en l’état de l’instruction, le moyen ci-dessus analysé tiré de l’erreur de droit en ce que les décisions attaquées du 21 juillet 2022, qui refusent l’instruction en famille de et d’ au motif que les éléments fournis n’établissent pas l’existence d’une situation propre à l’enfant dans le cadre du 4° de l’article L. 131-5 du code de l’éducation justifiant l’instruction en famille, alors qu’il ne résulte pas de l’instruction que le choix éducatif des parents ne répondrait pas à l’intérêt supérieur de l’enfant ou serait la source d’un risque majeur pour l’enfant, sa santé ou sa vie, est de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée. Il y a donc lieu de suspendre l’exécution de ces décisions ».
Cette approche écarte dès lors la notion de « situation propre » comme un critère déterminant et se concentre sur l’adéquation du projet pédagogique au rythme de l’enfant et aux attentes en termes d’instruction.
A l’inverse, nombre de magistrats retiennent une approche plus restrictive dans laquelle la notion de « situation propre » doit être entendu comme un critère d’appréciation des demandes d’autorisation en IEF, recherchant alors non pas une situation propre, mais plutôt une situation particulière de l’enfant.
Ainsi, les ordonnances, souvent de rejet des demandes en suspension, sont motivées de la manière suivante : « Il résulte des dispositions nouvelles de l’article L. 131-5 du code de l’éducation, éclairées par les débats parlementaires à l’issue desquels elles ont été adoptées, que le législateur a entendu limiter strictement aux quatre cas mentionnés au point précédent la possibilité pour l’administration de délivrer, à titre dérogatoire, une autorisation pour dispenser l’instruction en famille. Il ressort également de ces débats parlementaires que, s’agissant particulièrement du quatrième et dernier cas, tenant à « l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif », le législateur a entendu réserver la possibilité d’accorder une dérogation exclusivement lorsque « les familles relèvent un besoin de l’enfant à partir duquel elles élaborent un projet éducatif adapté à l’enfant » et a expressément écarté les cas dans lesquels la motivation de la demande d’autorisation reposerait sur le fait que « les parents ont un projet » pour leur enfant, en précisant que « le projet éducatif n’est pas le motif : le motif, c’est l’enfant et ses besoins, pour lesquels les parents élaborent un projet éducatif ». Il s’infère de ce qui précède, et compte tenu du fait que l’instruction obligatoire est désormais donnée, en principe, dans les écoles et établissements d’enseignement, que l’administration ne saurait délivrer une autorisation pour dispenser l’instruction en famille présentée sur le fondement de ce quatrième cas lorsque les parents ou les personnes autorisées n’établissent pas expressément l’existence d’une situation propre à l’enfant, ce alors même qu’ils auraient établi pour cet enfant un projet éducatif susceptible de répondre pleinement à ses besoins. Pour délivrer une telle autorisation sur ce fondement, l’autorité administrative doit en outre s’assurer, sous le contrôle du juge administratif, que le projet d’instruction en famille comporte les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant ainsi que le Conseil constitutionnel a interprété, au point 76 de sa décision n° 2021-823 DC du 13 août 2021, le critère tenant à la situation propre à l’enfant. »
Si notre Cabinet a pu obtenir gains de cause sur les deux lectures qui sont opérées par les juges administratifs, c’est bien évidemment sur la première, plus ouverte et libérale, que la grande majorité des ordonnances de suspension des effets des décisions de refus d’IEF ont été rendues.
Malheureusement, en l’absence à ce jour d’une décision du Conseil d’Etat, venant unifier et clarifier la lecture de ce nouveau dispositif normatif, chaque recours sera soumis à une appréciation et à une approche personnelles des juge des référés , en fonction de sa sensibilité de juriste et de juge de la légalité apparente.
Ainsi, dans l’attente de la position de la Haute juridiction administrative, nous continuerons, à chaque audience et sur chaque dossier, à tenter de convaincre de l’approche libérale à tenir dans l’intérêt des familles et des enfants.
Vous trouverez ci-dessous des ordonnances rendues en fonction de ces deux approches et nous restons à votre disposition pour échanger sur votre situation.
Exemples d’ordonnances de suspension sur la première lecture
Exemples d’ordonnances de suspension et de rejet sur la deuxième lecture
Bonjour,
Vous mentionnez « dans l’attente de la position de la Haute juridiction administrative ». Pourriez-vous préciser ce que cela signifie ? :
Quel est l’ « événement déclencheur » qui permet de solliciter le positionnement de la Haute juridiction administrative » ?
Qui peut la solliciter ?
Combien de temps cela dute-t-il ?
Quelles sont les actions que peuvent faire les familles pour favoriser un positionnement en faveur des familles demandant l’autorisation de faire l’ IEF ?
D’avance merci
Hélène RD
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Bonjour,
Le Conseil d’Etat est le seul recours contre une ordonnance rendue par un juge des référés d’un Tribunal administratif.
Seules les parties au procès peuvent le saisir.
Outre un rôle de cassation et, le cas échéant, de nouvelle juridiction de jugement, le Conseil d’Etat a aussi pour mission de s’assurer d’une certaine uniformité des réponses données par les juridictions administratives.
Ainsi, comme c’est le cas pour l’IEF, une décision du Conseil d’Etat est âprement attendue.
Malheureusement, celle-ci dépend de la volonté ou non des familles ou du Rectorat de le saisir pour contester les décisions rendues en première instance.
Pour le reste, le temps de réponse dépendra de l’encombrement de la juridiction, mais nous espérons un retour des dossiers avant la fin de l’année.
Enfin, d’un point de vue judiciaire, il n’existe pas d’action particulière qui permettrait de faire pencher la balance dans un sens ou un autre, à part convaincre individuellement chaque juge du bien-fondé de notre analyse.
D’un point de vue politique, bien évidemment, les associations portent déjà la voix de toutes les familles auprès des représentants nationaux et du Ministre.
Mais le chemin est encore long.
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Merci beaucoup pour tous ces éclaircissements 🙂
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